Devant les grilles du château [terminé]

Tarja se dirigea vers le Palais des Anges et Elfes pour aller parler à Aelyn, la gouvernante du peuple elfique, résidant en cet immense château dont la robe noire de la nuit qui dominait les cieux ne fit rien perdre à l'éclatante resplendissance du majestueux bâtiment. Elle savait que des êtres fascinants étaient présents aux alentours, mais elle ne s'était jamais imaginé ne fus-ce qu'un court instant durant le voyage qu'elle allait rencontrer un être qu'elle a toujours eu envie de voir depuis sa plus petite enfance à cause de tous les récits et les légendes qu'elle a entendu sur ce genre d'existence : un fantôme ! Elle le vit, sa pâleur morbide, son apparence brumeuse, sa couleur blanche triste mais aussi sa... somptuosité. Elle fut stoppée dans sa marche par l'étonnement et l'émerveillement enfantins qui étaient présents en ce moment. Les fantômes, on a tout dit sur eux et on les a accusés de tout et de rien. Beaucoup disent qu'ils n'ont aucun pouvoir de contact avec le monde matériel, certains renient totalement leur existence, d'autres racontent qu'ils sont capables de déplacer les meubles des maisons et produire des sons effrayants dans le vide, pas mal disent que c'est pour tourmenter les vivants par jalousie qu'ils possèdent encore la vie en eux. Elle s'approcha timidement, angoissée. En face de l'esprit, son cœur battait la chamade et elle ne sut que dire :

- "Êtes... Êtes-vous un être de l'au-delà ?

Courte question stupide, mais c'est tout ce que la fascination lui a permit de prononcer comme mots.

Touchée au plus profond de son âme par la triste voix de Céladar, Tarja baissa de quelque peu sa tête, poussa un long soupir et s'accroupit sur le parterre pour finir par caresser son menton et dit d'une voix emplie de mélancolie :

- "Des erreurs, j'en ai commise beaucoup, et des grosses qui parfois se sont retournées contre moi ou contre mes proches, me culpabilisant et formant en mon esprit une haine incurable envers moi-même que j'ai toujours eu difficile à contrôler et qui n'a fait que me rendre encore plus violente et hargneuse, ce qui ne fait que multiplier les erreurs et m'enfoncer encore plus dans le gouffre du tourment et du regret. J'ai tenté maintes fois de me racheter en rendant mon âme pure mais j'ai maintes fois échouée. Encore maintenant, je me rendais au Palais des Anges et Elfes dans le but que tous mes antécédents soient pardonnés par les dieux. La dernière fois que je suis entré en ce lieu," dit-elle en désignant le majestueux palais du doigt. "j'ai vu la vérité de face et elle m'a tellement choquée que j'en ai failli devenir folle. J'ai longtemps servie la déesse des origines du mal, la violence et le meurtre sont en moi et me donnent un grand plaisir à la vue de mes victimes lâchant leur dernier soupir ou hurlant de désespoir face à une mort certaine. Pourtant, depuis quelques années, une envie d'entamer une nouvelle vie ou plutôt de revivre l'innocence de ma petite enfance a surgit. Je continue a tenté d'aboutir à cette renaissance, toujours sans succès car la hargne que l'on m'a infligée réussit toujours à me dominer."

Elle releva son visage pour regarder la dame blanche d'un air pensif et lui dit :

- "Alors, si la mort me touche avant une quelconque rédemption, je serais sûrement comme vous. Le royaume des morts me sera interdit d'accès et j'errerais à travers la Terre parmi les damnés."

À la fois impressionnée et horrifiée par le discours de Céladar, Tarja resta bouche-bée un long instant d'une dizaine de secondes. Apprendre autant sur le sujet mystérieux et angoissant de la vie après la mort en quelques phrases s'avérait fort difficile à comprendre pour l'esprit d'une mortelle. La mort l'a toujours effrayée et elle était hantée par l'idée que l'on puisse vouloir la mort volontairement pour une autre raison que l'honneur ou le combat. Les paroles prononcées par la voix lente et effroyablement résonnante, à travers l'infini de l'air, de la dame blanche continuaient à se produire dans l'esprit de la jeune fille. Interloquée, elle prit l'air le plus sérieux que pouvait lui permettre le moment et dit d'un air pensif :

- "Tes paroles me touchent profondément mais me frustre en tant que propriétaire de vie. Renseigne-moi sur le livre sacré que tu évoques et sur la raison qui t'as poussée à accepter ta mort par le biais de la malédiction."

La religion, le carrefour dangereux où la plus grande des sagesses devient la pire des folies. La Bible, le livre propageant la paix mais qui est devenu une condamnation à mort pour tous ceux que le commun repousse. Jésus-Christ, le martyrisé devenu bourreau sans même le vouloir. Le christianisme, le mal accompli au nom du bien. Tarja connaissait tout cela. À l'époque où elle vivait, tout ne pouvait que dévier vers l'hécatombe et la torture. Quelle est cette inquiétante pulsion qui pousse les humains à ne régler la justice uniquement que par le biais de la cruauté ? Elle-même a bâtie sa vie sur la souffrance de nombreux êtres vivants. Vit-on pour semer la mort ? Alors, la raison ne trouverait refuge que dans l'au-delà. Elle se rappela des horreurs infâmes que des prêtres ont infligé à son ami, Morten, lorsque un accès de haine plissa ses sourcils. Elle se leva l'air rassurée et sûre d'elle en levant bien haut ses épaules et en bombant son torse. C'est alors qu'elle martela violemment, en poussant de secs gémissements, un arbre se situant à ses cotés qui finit par se fracasser, laissant autour de multiples bouts d'écorce. En tendant son poing face à son visage, elle dit d'un ton ferme :

- "Les fanatiques de la Bible ont également infligé de terribles châtiments à un homme qui ne voulait que mon bien et qui a risqué sa vie pour sauver la mienne. Au nom du respect que je porte envers sa mémoire, je serais prête à mettre à feu et à sang des peuples entiers. Je désire anéantir tout ce qui se rapporte au christianisme car ce sont quelques de ses pratiquants qui ont fait subir de grands maux à mon ami. Je vais aller dans leur sens de la justice : en les massacrant tous, les cieux régleront les méfaits commis en épargnant les innocents. Qu'en dis-tu ?"

La dernière phrase prononcée par la voix plaintive de Céladar fit un choc dans l'esprit de Tarja, ne faisant ressurgir que encore plus de haine et d'amertume. Ses yeux furent grand ouverts, laissant couler un larme amère de l'œil droit. Elle dit alors d'une voix rageuse :

- "Oui ! Les dieux utilisent la violence tout comme les humains. Comme je te l'avais dit avant, je cherche la voie de la sagesse mais le destin du monde ne se trouve sûrement pas dans ce beau rêve de plénitude, d'après ce que j'en dédie. La brutalité demeure l'unique accès au pouvoir. Beaucoup, tout comme moi, auraient aimé ce que se soit autrement mais la vérité s'avère toujours choquante et dérangeante, ne provoquant que frustration et déception. Je ne peut que te remercier, Céladar, d'avoir fait couler la goutte d'eau qui a fait déborder le vase contenant mon acceptation de la vérité. J'ai déjà vu cette réalité au Palais des Anges et Elfes, mais mon rêve de rédemption ne l'a pas toléré. Ainsi, la véritable raison n'est autre que la folie de la barbarie perpétuelle..."

La mélancolie et la malséance se dégageait furieusement de l'aura de la guerrière. dans son regard, pouvait se traduire un terrible désir de destruction.

Tarja répondit aux parles de Céladar :

- "J'ai déjà rencontré Aelyn à deux reprises, une fois dans le Palais des Anges et Elfes où elle a tenté de purifier mon âme ce qui fut un échec cuisant vu la noirceur de mon esprit et une autre fois dans la Forêt des Murmures lorsque le clan des Guerrières d'Athéna était entré en conflit avec une titanesque armée d'orcs et d'autres bestiaux ce qui entraina un terrible saccagement de la forêt qui se faisait dévoré par les flammes lors de la bataille. Il s'agit d'une elfe puissante pourvu d'une générosité étonnante. Elle use toujours toute sa magie au service des autres sans se soucier des races, des rangs et des actes. Je crains que, hélas, sa générosité, aussi grande soit-elle, ne peut pas faire face à la cruauté abondante qui habite les cœurs de ce monde. Je suis à l'écoute de la sagesse des voix de l'au-delà. Me conseilles-tu, malgré la défaite précédente de ma purification, d'essayer à nouveau de racheter mon horrible passé ?"

Les yeux de Tarja devinrent brillants et brûlants d'émotion. De grandes larmes y découlèrent. Elle dit d'une voix sanglotante :

- "C'est ce genre de phrase qui m'a conduit à l'aspiration d'une vie de bonne augure, qui ont liquéfié mon cœur qui n'était avant que de la roche noircie par les intempéries de la souffrance. On m'a souvent quand j'étais une enfant que lorsque la mort ou l'une de ses victimes nous parle, cela ne peut être que des paroles mûries par l'existence, matérielle et immatérielle, et qu'il était toujours bon de les écouter attentivement en sachant démêler la malice. Espérons que les légendes ancestrales disent vrai... Mais je suivrait ton conseil quand même uniquement pour le souvenir des gitans qui m'ont enseigné les mythes."

Elle se jeta sur Céladar pour l'enlacer, question de montrer toute la gratitude qu'elle éprouvait pour elle. Mais, évidemment, ses bras traversèrent le corps brumeux et immatériel de la dame blanche. La guerrière continua son discours tout en continuant à pleurer amèrement :

- "J'aimerais tant te montrer la gratitude que j'ai à ton égard..."